L’École coranique, vers 1910 - Étienne Dinet (1861-1929) - Huile sur toile - 64x81cm |
Serrés les uns contre les autres et assis à même le sol, cinq garçons plongent leur calame dans de petits encriers de terre cuite vernissée avant de retranscrire quelque verset sur leur tablette. Leur concentration, parfaitement saisie, n’est pas exempte d’une certaine sérénité, celle du désir de bien faire… La scène se déroule dans une école coranique, structure éducative religieuse où les enfants, dès le plus jeune âge, se consacrent à l’apprentissage de la langue arabe et à son écriture, à travers la mémorisation du livre sacré de l’islam, le Coran. Si ces écoles fleurissent dans chaque ville et village du monde musulman – parallèlement à l’enseignement public –, notre leçon, elle, se situe en Algérie, un endroit cher au cœur de l’auteur de la toile : Étienne Dinet. C’est en 1884 que cet enfant de la bourgeoisie parisienne découvre un pays qui va devenir son unique source d’inspiration, nourrie des images d’une vie simple et authentique, proche à ses yeux d’un certain paradis perdu. À partir de 1887, il y passera en moyenne six mois de l’année, en particulier à Bou-Saâda, petite ville du Sud, qui devient pour lui un havre de paix et de création. En 1905, il y achète une maison pour en faire son atelier et y peindre son sujet préféré : la femme. Et surtout les «Ouled Naïl», danseuses et prostituées, surchargées de parures ou parfois dénudées, que son œil de photographe saisit partout, dans les ruelles, dans l’oued et sur les terrasses des maisons.
Dinet, le croyant
À côté de cette veine, très audacieuse pour l’époque et le lieu, se dessine bientôt une autre thématique à connotation religieuse, surtout après 1913, date de sa conversion officielle à l’islam. Celui qui a pris le nom de Nasreddine représentera ainsi des croyants faisant la prière, des assemblées dirigées par l’imam, des pasteurs écoutant le muezzin… L’école coranique constitue un thème plus rare. Dans La Vie et l’œuvre d’Étienne Dinet, rédigé par Denise Brahimi et Koudir Benchikou (ACR Édition, 1991), on peut découvrir aux côtés de notre œuvre (n° 146) une toile de la même inspiration : un Écolier récalcitrant (collection privée) recevant une sévère correction. L’apprentissage scolaire est aussi le sujet d’une toile de l’artiste, datée 1919, qui sera proposée par Artcurial, à Marrakech, le 30 décembre prochain. Quant à notre composition, peinte vers 1910, elle a été conservée jusqu’à aujourd’hui dans la descendance de son premier propriétaire, Frédéric Lung (1863-1942). Cet entrepreneur algérois, important négociant en vins, était non seulement un philanthrope – à l’origine, par exemple, d’un centre de loisirs au Clos-Salembier à Alger – mais aussi un grand collectionneur de peintures, dont une partie sera léguée en 1961 au musée national d’Art moderne, par sa veuve. Amateur d’orientalisme, il a acquis plusieurs toiles de Dinet, dont cette École coranique, qui, en 1913, apparaissait au Salon des artistes algériens et orientalistes… Un tableau décidément emblématique, puisqu’on le retrouvera reproduit dans le Cahier du centenaire de l’Algérie n° 10, édité en 1930 à l’occasion des 100 ans de sa colonisation.
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